L’équipe de YiLiMag a rencontrée, Mr Elom AZIADEKEY, il est Manager Spécialiste en Passation des Marchés et DAF de l’Autorité de Régulation des Commandes Publiques (ARCOP).
Il nous explique les marchés publics autrement, on l’écoute…
Dans le secteur des marchés publics il existe trois (03) principaux acteurs : les autorités contractantes (le gouvernement et ses entités publiques), les opérateurs économiques et la société civile (le peuple). Les deniers publics appartiennent naturellement au peuple. C’est pourquoi d’ailleurs le peuple est considéré comme l’acteur incontournable du système des marchés publics.
L’élément central des marchés publics est l’intérêt général, satisfaction des besoins de la communauté. Et donc il y a trois (03) acteurs qui interviennent dans les marchés publics. Ainsi le marché public n’est pas une affaire exclusive des dirigeants et des opérateurs économiques mais une mission des dirigeants des entités publiques agissant au nom du peuple avec des opérateurs économiques pour l’intérêt général de la République.
Nous voudrions que vous nous expliquiez le concept du marché public les raisons, les mécanismes qui sous- entendent celui-ci.
Comprendre les marchés publics implique de saisir le processus par lequel les gouvernements et les entités publiques acquièrent des biens, des services ou des travaux de construction, destinés à la satisfaction des besoins, auprès des entreprises privées.
Voici quelques points clés pour vous aider à comprendre ce domaine :
Concept des marchés publics
Un marché public est un contrat conclu entre une entité publique (comme l’État, les collectivités territoriales, ou les entreprises publiques) et un prestataire privé ou public pour l’achat de biens, de services ou de travaux. Les marchés publics sont régis par des lois et des règlements spécifiques afin de garantir la transparence, la concurrence, et l’efficacité des dépenses publiques.
Raisons d’exister des marchés publics
Pourquoi les marchés publics ? j’aimerais énumérer 4 raisons d’être des marchés publics.
- Optimisation des ressources Publiques : Les marchés publics permettent à l’État et aux collectivités de gérer efficacement leurs ressources financières en obtenant des biens et services de qualité au meilleur prix.
- Transparence et équité : En instaurant des règles claires et précises, les marchés publics visent à éviter la corruption, le favoritisme, et les conflits d’intérêts, assurant ainsi que tous les candidats aient les mêmes chances.
- Stimulation de la concurrence : Le processus des marchés publics encourage la concurrence entre les entreprises-fournisseurs, ce qui peut conduire à des innovations, une amélioration de la qualité des produits et services, et une réduction des coûts.
- Développement économique : En facilitant l’accès des PME et des entreprises locales aux marchés publics, ces derniers contribuent à la croissance économique et à la création d’emplois.
Mécanismes des Marchés Publics
Je veux préciser que les marchés publics sont des procédures « contraignantes » reparties en phases successives.
- Identification des Besoins :
- Analyse et Planification : Les entités publiques (Autorités contractantes) identifient leurs besoins en biens, services ou travaux qui sont validés dans leur Budget et planifient les acquisitions nécessaires conformément au Plan prévisionnel de passation des marchés (PPM).
- Préparation du Dossier de consultation ou du Dossier d’appel à concurrence :
- Cahier des Charges : Un document détaillant les spécifications techniques, les critères de sélection et les conditions contractuelles est élaboré.
- Publicité : Annonce de l’appel d’offres dans des journaux officiels ou des plateformes dédiées pour informer les fournisseurs (entreprises) potentiels.
- Procédures de Passation :
- Appel d’Offres Ouvert : Procédure la plus courante où toutes les entreprises intéressées peuvent soumissionner.
- Appel d’Offres Restreint : Seules les entreprises préqualifiées peuvent soumissionner.
- Procédure Négociée : L’entité publique négocie directement avec un ou plusieurs fournisseurs dans des procédures spécifiques dans les conditions définies avec autorisation préalable.
- Soumission et Sélection :
- Réception des Offres : Les soumissions (ou les offres des entreprises) sont reçues dans un délai fixé et sont généralement ouvertes en séance publique.
- Évaluation : Les offres sont évaluées selon les critères définis (prix, qualité, délais, etc.). Un comité de sélection peut être formé pour cette tâche.
- Attribution : Le contrat est attribué au soumissionnaire (entreprise) qui présente l’offre économiquement la plus avantageuse.
- Exécution et Suivi :
- Signature du Contrat : Une fois l’offre acceptée, un contrat formel est signé entre l’entité publique (la Personne Responsable des Marchés Publics) et l’entreprise-prestataire avec l’approbation de l’ordonnateur (Ministres, Maires, Directeurs généraux,…)
- Suivi et Contrôle : L’exécution du contrat est suivie de près par l’Entité publique responsable pour s’assurer que les termes et conditions sont respectés. Des audits et des contrôles qualité peuvent être effectués.
- Clôture du Marché :
- Réception des Travaux/Biens/Services : Vérification que le prestataire a bien rempli ses obligations contractuelles.
- Paiement : Le prestataire est payé selon les modalités prévues dans le contrat, une fois que la réception est jugée satisfaisante.
Principes Fondamentaux des marchés publics
Les marchés publics jouent un rôle crucial dans la gestion des ressources publiques, la promotion de la concurrence, et le développement économique. En étant bien régulés et transparentes, ils assurent que les fonds publics sont utilisés de manière efficace et équitable, tout en stimulant l’innovation et la croissance économique. Et il y a des principes fondamentaux qui guident les achats publics à travers les textes et les procédures régissant ce secteur. J’aimerais mentionner quelques-uns de ces principes :
- Transparence : Toutes les étapes du processus doivent être claires et accessibles à toutes les parties intéressées pour éviter les fraudes et les abus.
- Égalité de Traitement : Tous les candidats doivent être traités de manière équitable sans discrimination afin de garantir une concurrence loyale.
- Proportionnalité : Les exigences imposées aux fournisseurs doivent être proportionnées à la nature et à l’importance du marché.
- Libre Accès à la Commande Publique : Les règles doivent favoriser la participation de toutes les entreprises, y compris les PME, aux marchés publics.
Parlez-nous un peu des 25% des parts des marchés publics accordés aux jeunes et femmes entrepreneurs.
C’est une politique que le chef de l’Etat porte, qui lui est chère et qu’il faut saluer. Le chef de l’Etat a donc demandé aux autorités contractantes qui passent les marchés de faire tout pour réserver une partie des marchés publics aux jeunes et femmes entrepreneurs. L’idée économique derrière ça, c’est de promouvoir l’entreprenariat, créer de l’emploi, stimuler l’économie et la redistribution des richesses. En gros, c’est une part importante entre 12 milliards et 40 milliards de marchés qui sont réservés aux jeunes et femmes entrepreneurs. Cette mesure avait démarré avec une part de 20% des marchés à réserver et a été augmenté à 25% grâce à la vision du Chef de l’Etat.
Lorsqu’on dit que cette mesure concerne les jeunes et femmes, les gens oublient que ces jeunes et femmes doivent respecter des conditions précises et surtout être des entrepreneurs ! Beaucoup pense que le fait d’être jeune entrepreneur ou femme entrepreneur suffise pour postuler facilement et gagner un marché rapidement. C’est une condition nécessaire, mais pas suffisante ! La qualité parfaite d’entrepreneur est nécessaire pour les affaires avec les entités publiques. Mais la connaissance de l’environnement institutionnel et juridique des marchés publics, la maitrise des procédures des marchés publics et le montage des offres sont indispensables pour s’en sortir.
Le premier document capital des marchés publics est le Plan Prévisionnel de Passation des Marchés (PPM). Le PPM détaille les informations adéquates et obligatoires concernant les projets d’acquisition de chaque entité publique au cours de l’année conformément à son budget voté.
Les jeunes et femmes entrepreneurs intéressés doivent obligatoirement s’inscrire sur le site de la Direction Nationale de Contrôle des Marchés Publics (DNCCP) avant de pouvoir bénéficier de cette mesure d’exception du Chef de l’Etat. Cet enregistrement sur le site de la DNCCP permet aux autorités contractantes (les entités publiques) de puiser la liste des jeunes et femmes entrepreneurs à consulter pour leurs projets de marchés réservés dans le cadre de cette politique. D’ailleurs les candidats et candidates à la formation gratuite de l’ARCOP et le FAIEJ en marchés publics sont ceux et celles remplissant les conditions et qui sont inscrits sur le site de la DNCCP.
Je compare souvent la concurrence dans le secteur des marchés publics comme la nage professionnelle dans l’océan ou les grandes et moyennes entreprises en règle et nanties se disputent âprement les opportunités d’affaires. Cette politique destinée aux jeunes et femmes est comparable à une piscine créée par le Président de la République Son Excellence Monsieur Faure GNASSINGBE pour que ces jeunes et femmes entrepreneurs intéressés apprennent la nage professionnelle. L’objectif n’est pas du social, mais une politique économique. Un jeune ou femme qui apprend à bien nager dans la piscine peut se jeter dans l’océan. In fine, c’est pour créer une classe d’entrepreneurs togolais efficaces et professionnels.
Par ailleurs, il ne faut donc pas oublier que les nouvelles directives de l’UEMOA indiquent que les frontières des huit (08 pays) de la zone sont ouvertes à toute entreprise de la zone UEMOA quand elles ont les aptitudes nécessaires d’un bon entrepreneur.
Nous voudrions que vous nous traciez l’émergence et le développement même du concept des marchés publics.
Les marchés publics sont liés à l’évolution des échanges commerciaux économiques et gouvernementaux à travers l’histoire. L’histoire est tracée depuis l’antiquité où les gouvernements locaux et les autorités publiques avaient besoin de biens et de services pour soutenir leurs activités.
Il faut savoir que les marchés publics avaient démarré dans l’informel. Les choses se faisaient le plus simplement possible, par des contrats verbaux ou des arrangements avec les fournisseurs. A un moment donné le concept ayant évolué avec des règles et des procédures, et vu que la population devenait plus importante sur la terre, les besoins des entités publiques ont augmenté ce qui a nécessité une formalisation. Le premier règlement commençait à migrer à partir du 18ème siècle selon l’histoire. Ces formalisations ont commencé en Europe pour éviter les abus et assurer une utilisation efficace des fonds publics.
A partir du 20ème siècle, le concept a été modernisé avec l’ampleur des états providence et les gouvernements impliqués. Les avancements technologiques et l’accroissement des dépenses publiques créent la nécessité de formaliser pour mieux cerner l’approfondissement qui a été fait. Maintenant l’exigence est de le faire de manière transparente. D’ailleurs les entreprises également se développent avec de plus en plus de services et une concurrence s’est installée car les choses deviennent plus sérieuses. La population et l’économie deviennent plus importantes.
La concurrence pousse désormais à rendre public les appels à projet pour que les plus performants puissent gagner. L’organisation mondiale du commerce entre temps, est intervenue avec les accords entre les nations et l’ouverture du marché international. Ces évolutions ont également permis de rendre les principes en matière publique évolutifs. A un certain moment, il fallait que les bases et les réformes des marchés publics soient conformes car tout évolue sans cesse. Il faut comprendre qu’en dehors de ces évolutions, il y a l’innovation technologique qui devrait intervenir, les marchés publics suivent cela aussi puisqu’au centre c’est la satisfaction des besoins qui compte.
L’évolution en Afrique et au Togo
Avant les indépendances, les premiers principes embryonnaires des marchés publics étaient gérés par le colon qui voulait satisfaire certains besoins. Par la suite, les marchés publics ont été adoptés par les premiers dirigeants africains qui ont évolués dans ce même sens. Mais compte tenu de la faible densité des populations et de l’entreprenariat africains peu développé dans les pays nouvellement indépendants, le secteur des marchés publics est simpliste et géré par uniquement par les entités publiques.
C’est ainsi que la pratique héritée des colons a perduré jusqu’en 1993 au Togo. En effet, le 04 aout 1993 le Togo a pris l’Ordonnance n° 93-006 organisant les marchés publics autour de la Commission Nationale des Marchés (CNM) rattachée à la Présidence de la République. Cette commission basée à la Présidence de la République en charge des questions des marchés publics cumulait pratiquement les trois (03) rôles que sont la passation des marchés publics, le contrôle des marchés publics et la régulation des marchés publics.
Le Togo a évolué suivant cette ordonnance jusqu’en 2004 lorsque l’UEMOA a pris des directives pour harmoniser le système des marchés publics. Une seconde directive a été prise en 2005. Ces deux (02) directives demandaient aux huit (08) pays de l’UEMOA de revoir les pratiques dans les marchés publics.
C’est en 2009 que le parlement du Togo a voté la première loi concernant les marchés publics afin d’être conforme aux standards internationaux et surtout aux directives de l’UEMOA. La même année les premiers décrets portant création et organisation des acteurs du secteur comme les autorités contractantes, la direction du contrôle, l’institution de la régulation ont été instaurés. Cette réforme a eu comme caractéristique principale de scinder les différentes fonctions des marchés publics.
A partir de 2021, une relecture des textes a été faite. Les trois fonctions existent toujours mais en version améliorée.
Mot de fin, votre message pour ces entrepreneurs qui vont lire ce magazine.
En tant que spécialiste des marchés publics et gestionnaire spécialisé en Finances-Banque, je peux dire que si l’Etat organise ce secteur des marchés publics, ce n’est surtout pas pour ses beaux yeux mais c’est pour permettre à l’entreprenariat togolais de s’organiser efficacement suivant les standards internationaux et d’exercer leur travail au Togo, dans l’espace UEMOA et à l’international. Les pratiques professionnelles, les procédures et les exigences administratives sont des conditions sine qua non pour l’efficacité, la compétitivité et la rentabilité même des entreprises. Je m’amuse souvent à dire que le « secteur informel » c’est un défaut ou un handicap pour les entrepreneurs et l’économie.
On ne peut pas organiser l’informel mais plutôt aider les entreprises et les initiatives à s’en sortir afin d’être professionnel, efficace et financièrement stable pour notre économie. Et c’est ce que l’Etat fait en faisant des réformes dans les différents mécanismes et procédures de création et d’accompagnement des entreprises.
J’encourage cette initiative de YiLiMag qui offre cette tribune afin de partager des connaissances et des analyses spécialement dans le domaine des marchés publics et des affaires afin d’ouvrir l’horizon des jeunes et des femmes.
Mr Elom AZIADEKEY
DESS en Finances Banque
Manager Spécialiste en Passation des Marchés (DAF ARCOP)
Pour plus d’information et de compréhension des marchés publics, consultez la rubrique « Comprendre les marchés publics »